Les économies de la zone euro affichent des performances disparates
LE MONDE | 21.05.05 | 13h10 • Mis à jour le 21.05.05 | 13h10
Bruxelles de notre bureau européen


Italie en récession technique, rebond allemand, France au ralenti, Espagne en grande forme : au premier trimestre, les pays de l'Union monétaire ont enregistré des performances économiques aux disparités inquiétantes.

Dans leur ensemble, les douze sont non seulement en retard sur les principales régions du monde, et leurs partenaires de l'Union européenne, mais leurs divergences économiques ont plutôt tendance à augmenter. Six ans après la création de l'euro, le phénomène est susceptible d'affecter la crédibilité d'une devise dont l'un des objectifs avoués était de faciliter la convergence, tout en permettant de mieux résister aux chocs extérieurs. Préoccupée, la Commission européenne prépare pour début juin une étude exhaustive sur la question. Les ministres des finances de la zone, réunis au sein de l'eurogroupe, ont fait part de leurs inquiétudes vendredi 13 mai, lors d'une rencontre au Luxembourg. C'est un "problème grave" , a dit le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qui préside à la fois l'Union européenne et l'eurogroupe : "Les pays qui étaient déjà les moins compétitifs au moment de la création de l'euro sont devenus encore moins compétitifs. Le rééquilibrage attendu n'a pas eu lieu", a-t-il analysé en faisant allusion à l'Italie.

La tendance ne date pas de cette année. Depuis la création de l'euro, les taux de croissance ont toujours connu des écarts significatifs. En 2004, la croissance allait de 1 % au Portugal, à 5,4 % en Irlande, contre 1,6 % en Allemagne et 2,5 % en France. La principale puissance économique de la zone, l'Allemagne, connaît depuis dix ans une croissance atone, tandis que la France s'en sort nettement mieux. Mais ces écarts ont pris une dimension nouvelle au premier trimestre 2005 : confrontée à de graves problèmes de compétitivité, l'Italie entre en récession, au moment où l'Allemagne a suscité la surprise (avec une croissance de 1 %) et la France rechute (0,2 %).

Deuxième problème, les moteurs de la croissance varient toujours beaucoup d'un pays à l'autre. En Espagne, la demande intérieure est dynamique, dopée notamment par la baisse des taux d'intérêts liée à l'arrivée de l'euro. Cette baisse du loyer de l'argent se traduit par une flambée de l'immobilier. En Allemagne, les ménages dépriment, et épargnent au lieu de consommer. L'activité dépend essentiellement des exportations.

En dépit de l'euro fort, l'économie allemande est en passe de devenir la plus exportatrice du monde, alors que la France creuse de nouveau son déficit commercial.

Ces disparités de croissance alimentent des disparités budgétaires. Après avoir réussi à réduire leurs déficits publics sous la pression du pacte de stabilité et l'effet du boum économique de la fin des années 90, les Etats membres connaissent des évolutions erratiques. La Commission devrait préconiser le 7 juin d'ouvrir une procédure pour "déficits excessifs" à l'encontre de l'Italie, ceux-ci devant dépasser la barre des 3 % du PIB. L'Allemagne viole cette limite depuis 2002 et ne parvient pas à tenir ses engagements. Son ministre des finances, Hans Eichel, a déjà dit que le retour sous les 3 % en 2005 était "de plus en plus difficile", compte tenu du faible niveau des recettes fiscales, et des chiffres du chômage.

Deux autres petits pays ont pulvérisé les règles européennes : la Grèce, avec un déficit de 7,1 % de son PIB en 2004 et 5,5 % cette année, tandis que le gouffre portugais pourrait frôler les 7 % du PIB. Les autorités européennes sont dans l'incapacité de discipliner réellement la conduite budgétaire des Etats membres. Avec la France et l'Allemagne, les ministres des finances ont fait voler en éclat les règles du pacte de stabilité fin 2003. Celui-ci a été depuis assoupli. Les marges de manoeuvres sont telles qu'elles permettent les dérapages en tout genre. Dans ce contexte, la Banque centrale européenne (BCE) est, elle aussi, désarmée. La politique monétaire est délicate à mener car elle s'applique à une zone hétérogène. Sanctionner les Etats dont les finances publiques dérivent en augmentant les taux ne ferait qu'aggraver leurs difficultés. Les pays comme l'Allemagne, qui cumulent stagnation et déficits, réclament au contraire une baisse des taux. Les pays en croissance forte, où les prix augmentent, peuvent avoir besoin d'une hausse du loyer.


ÉVOLUTION DES "COÛTS"


Jean-Claude Trichet, le président de la BCE, cherche à minimiser le phénomène. Pour lui, la situation "n'est pas anormale", quand on la compare avec celle des Etats-Unis : "Là-bas, on peut avoir une Californie en boom, et un Massachusetts en situation plus difficile", explique-t-il : "Cela est probablement le propre de très vastes économies". La BCE a analysé, à plusieurs reprises, les différentiels d'inflation entre les Etats membres pour conclure qu'ils n'étaient pas plus importants qu'aux Etats-Unis. "Pour ce qui concerne notre politique monétaire nous n'avons pas de difficulté. Nous regardons l'ensemble, exactement comme la Réserve fédérale regarde l'ensemble des Etats-Unis et pas particulièrement le Texas", répète M. Trichet.

Ce dernier s'est en revanche inquiété de l'évolution des "coûts unitaires de production" qui divergent et affectent la compétitivité des certains pays, comme l'Italie. Et avec l'euro, ces dérives ne peuvent pas être corrigées par des dévaluations. Pour M. Trichet, comme pour un grand nombre de dirigeants européens, la seule façon de converger est de mener les réformes structurelles dans chacun des Etats, puisque ceux-ci ne peuvent plus doper leur croissance en jouant sur les taux de change.

Philippe Ricard

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La croissance française réduite à 1,5 %
Brusque coup de frein. Avec une croissance limitée à 0,2 % au premier trimestre de 2005 par rapport au dernier trimestre de 2004, comme l'a annoncé l'Insee, vendredi 20 mai, l'économie française a peu de chances d'atteindre la prévision annuelle de 2,5 % inscrite par le gouvernement dans la loi de finances 2005. Même la fourchette (de 2 % à 2,5 %) annoncée par le ministre de l'économie, Thierry Breton, paraît hors d'atteinte. Les économistes, qui tablaient en moyenne sur une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1,9 % en 2005, corrigent tous leur copie. Nicolas Sobczac, chez Goldman Sachs, Olivier Gasnier, à la Société générale, Emmanuel Ferry, chez Exane BNP Paribas, ou Laure Maillard, chez CDC Ixis, estiment que la croissance passera sous la barre de 1,5 %. Jean-Marc Lucas, chez BNP Paribas, Marc Touati ou Philippe Waechter, à peine plus optimistes, la voient entre 1,5 et 1,6 %. Dans ce contexte, le déficit ne pourrait pas revenir sous la barre de 3 % du PIB, et le taux de chômage resterait au-dessus de 10 %.


Article paru dans l'édition du 22.05.05