Sous-dossier : IDE

 

Le concept d'IDE qui afine notre compréhension du phénomène de délocalisation et de désindustrialisation

Les IDE prennent plusieurs formes et répondent à des stratégies sont de

- création de filiale (greenfiel investment)

- l'acquisition d'une filiale (fusions-acquisitions, joint ventures, etc.)

- de plus en plus de "nouvelles formes d'investissement réalisées sans engagement de capital" (Guilhon, 1998, Les firmes globales, Ed. Economica, p. 19)

Suivons B. Guilhon (1998), pp. 35-37 qui insiste sur les ambiguités du concept :

"Les définitions de l'IDE sont nombreuses et ont du mal à clarifier un terme qui demeure largement ambigu. L'IDE ne peut être véritablement assimilé, au sens comptable comme au sens économique du terme, à un investissement.

- Sur le plan comptable, l'IDE a lieu lorsque la valeur nette comptable d'un investissement réalisé dans un pays et contrôlé par des investisseurs d'un autre pays, augmente (Graham, 1995). Dans la plupart des cas, l'investissement représente la création (greenfield investment) ou l'acquisition d'une filiale, dont l'activité économique a lieu sous le contrôle managérial d'une firme-mère. "

Pb :

"Le seuil de contrôle varie selon les pays : 10% aux Etats-Unis, 20% en France ..., ce qui rend la distinction entre investissement de portefeuille à l'étranger et IDE bien fragile ... et arbitraire. Dans le bilan de la filiale (créée ou acquise), la valeur nette de la filiale est égale à la valeur de l'actif moins les engagements dus à des agents économiques autres que les propriétaires. (Si l'investissement est réalisé conjointement par des agents domestiques et étrangers, l'IDE correspond seulement à l'augmentation de la valeur nette attribuable à l'investisseur étranger.)"

- "Dans la perspective de la balance des paiements, l'IDE réalisé par un pays dans un autre pays est assimilé à l'augmentation nette du capital versé par les investisseurs du pays d'origine à leurs filiales localisées dans le pays d'acceuil, à laquelle s'ajoutent les profits non distribuées de ces filiales (autofinancement). Telle est la comptabilisation effectuée par le FMI : ce qui s'analyse comme un flux sortant de capital à long terme pour le pays d'acceuil. D'après les règles standards du FMI, tous les profits réalisés par la filiales sont traités s'ils étaient transférés aux investisseurs du pays d'origine. La partie des profits non distribués dans la filiale est considérée comme un flux de capital à long terme revenant vers le pays d'acceuil."

Pb :

"Du point de vue de la filiale, on observe que l'IDE est une source de financement et non pas une utilisation de ressources financières disponibles (Graham, p. 3). Ce sont les dépenses en capital de la filiale, lesquelles correspondent au concept économique d'investissement réel, qui représentent les emplois des financements obtenus. Il s'ensuit que les flux d'IDE ne correspondent pas nécessairement à la formation de capital réel réalisée par les filiales des firmes multinationales (FMN)."

Pb:

"Le lien entre la globalisation et l'IDE peut être facilement établi : la globalisation des processus de production implique la constitution d'un réseau dense de filiales, qui explique la part significative d'un réseau dense de filiales, qui explique la part significative prise par le commerce mondial intra-firme. Ce dernier est fortement stimulé par l'IDE lorsque les firmes cherchent à contruire des RPTF leur permettant simultanément de réduire les coûts de production des produits intermédiares non stratégiques et de prendre pied sur des marchés domestiques inexploités. C'est ce qu'exprime l'activité de filiales étrangères des FMN dont les ventes dépassent, depuis 1992, le montant des exportations mondiales de biens et services."

- "Par ailleurs, il convient de signaler le développement de nouvelles formes d'investissement (NFI) permettant de contrôler des sociétés locales avec peu ou pas de capital engagé : il s'agit des accords de licence, de l'assistance technique, du conseil, de l'expertise, des contrats de gestion. Les NFI, qui dissocient l'apport immatériel de l'élément financier, relèvent de la logique d'investissement et non de la vente, l'apport intangible étant rémunéré par une fraction des résultats de l'activité."

- "Enfin, ces modalités doivent être distinguées de la sous-traitance internationale établie, soit en cascade (par exemple, par l'intermédiaire de firmes-relais localisées dans les NPI) à partir de la phase de conception du produit, soit directement entre firmes commerciales des pays industrialisés et producteurs locaux situés dans la périphérie. Ces chaînes de produits pilotées par l'aval (...) représentent des formes de délocalisation sans investissement direct (Chesnais, 1994)."

Quelques enseignements et données sur les conséquences de l'internationalisation des entreprises françaises

Fontagné et Lorenzi (2004)

Les stratégies

Une grille simplificatrice : investissement horizontal et vertical

"On assiste plutôt à l’organisation globale des firmes qu’à une
délocalisation systématique. La distinction très largement utilisée aujourd’hui
entre investissement horizontal (réplication des unités de production domestiques
dans les pays étrangers pour accéder aux marchés locaux) et vertical
(division verticale du travail pour tirer profit des différences de coûts de
facteurs) (Markusen, 1995) permet d’éclairer cette stratégie, même si elle
est simplificatrice" (p. 47)

Une approche plus complexe

Cette distinction horizontal-vertical pose toutefois problème. La prééminence de l’investissement entre pays industrialisés venant d’être rappelée laisserait penser
que le premier de ces deux types d’investissement est dominant. Au contraire, les statistiques d’échanges et les tableaux d’échanges interindustriels soulignent l’importance de la segmentation des processus de production et donc de la spécialisation des filiales étrangères sur des segments de la chaîne de valeur ajoutée. Comment réconcilier ces deux points de vue ? En réalité les stratégies des firmes sont plus complexes que la dichotomie horizontal/vertical le laisserait penser. L’utilisation de données détaillées sur les firmes
industrielles américaines (Hanson et al., 2001) pour la période 1982-1998
montre en effet que :
• les maisons mères re-localisent une part croissante de leur activité de production dans leurs filiales à l’étranger ;
• ce phénomène est particulièrement net dans les industries pour lesquelles les activités intensives en main d’oeuvre qualifiée sont aisément séparables de celles qui sont intensives en main d’oeuvre non qualifiée ;
• la baisse des coûts de transaction dans le commerce international a favorisé la division verticale du travail. L’utilisation de l’enquête confidentielle du BEA sur l’ensemble des firmes multinationales américaines montre qu’une baisse de 1 % des coûts de transport entraîne une augmentation
de 2 à 4 % des importations de biens intermédiaires destinés à être transformés ;
• les investissements de type horizontal ne sont de la pure réplication que si le marché d’accueil est très vaste ;
• dans le cas contraire ces unités nouvelles servent à fournir un marché régional, plutôt que local ;
• au total les firmes multinationales approvisionnent les marchés étrangers soit au moyen de filiales de production, soit au moyen de filiales étrangères de distribution. Le choix n’est donc pas entre exportation et investissement direct à l’étranger (Barba-Navaretti et Venables, 2004), mais entre IDE de distribution ou de production." (p. 50)

Vers l’entreprise réseau

Les stratégies d’intégration verticale et horizontale ont favorisé l’émergence
de nouvelles formes d’organisation dans lesquelles les firmes développent
(ou restreignent) leur périmètre d’activité en liant (ou déliant) des
partenariats avec les entités situées en amont ou en aval de leurs activités :
d’où la notion souvent utilisée de réseaux d’entreprise pour désigner ces
nouvelles formes d’organisation.

Où localiser les activités stratégiques ?

"La vision d’une structure « fabless », c’est-à-dire sans capacité de production, masque une réalité industrielle plus nuancée. Les entreprises gardent en interne certains de leurs sites de production, ne serait-ce que pour s’assurer de la faisabilité technologique des nouveaux produits ou pour s’assurer de la pérennité de leur avance technologique.

Dans le même temps, pour les pays industrialisés, il est impensable de cristalliser l’ensemble des sites de R&D tout en externalisant les sites de production. C’est pourquoi, pour les entreprises présentes dans les secteurs technologiques, les délocalisations des sites de R&D sont probablement justifiées par le besoin de renforcer le couplage avec la production. Dans les télécommunications, ce phénomène est largement observé, puisque les centres de R&D sont de plus en plus souvent situés près des sites de production qu’ils soient délocalisés ou non. Parallèlement, répondant à cette logique, les sites de production délocalisés voient s’adjoindre des centres de R&D pour accroître le niveau de coordination, s’imprégner des spécificités locales et se rapprocher des goûts des consommateurs locaux.

Au final, on assiste à une complexification des stratégies de localisation des activités à haute valeur ajoutée. Deux phénomènes contradictoires influent simultanément sur les stratégies de localisation des activités stratégiques de l’entreprise : d’un côté l’indéniable internationalisation des centres de R&D notamment vers les pays émergents, et de l’autre la mise en place de stratégies résistant à ce phénomène. Ces stratégies, où les États jouent un rôle important, visent à polariser géographiquement certaines activités stratégiques grâce à la mise en place de systèmes productifs locaux ou de mécanismes incitatifs directs. Si l’interventionnisme de l’État français est souvent dénoncé dans les instances internationales, les autres pays, et au premier rang les États-Unis, soutiennent fortement leur système productif. Il s’agit, par exemple, des contrats liant l’administration américaine aux entreprises privées, notamment dans le domaine militaire. Dans le domaine de la recherche, les partenariats entre le public et le privé constituent autant d’aides à l’industrie américaine. Comment dissocier, dans un contrat de recherche dans l’aviation, la partie militaire de la partie civile ? Il est évident que les entreprises telles que Boeing bénéficient d’externalités positives dans le domaine privé de leur partenariat avec l’administration américaine.(p. 52-3, souligné par nous)

L'impact négatif sur les non qualifiés

"Les firmes répondent en effet à la concurrence des importations en faisant du progrès technique et en fractionnant le processus de production pour tirer parti des différences de coûts relatifs. En procédant ainsi, les firmes altèrent profondément le niveau de qualification observé au sein des activités. On observera alors un déplacement des emplois non pas entre les industries mais au sein des industries, ce qui constitue précisément un des faits stylisés récents." (p. 62)

Les firmes ayant adopté une stratégie globale obtiennent de meilleures performances

"Comparer les performances individuelles des firmes ayant adopté une stratégie globale, intégrant l’outsourcing et la délocalisation, avec les firmes n’ayant pas fait ces choix, permet d’évaluer l’impact microéconomique de l’investissement direct sur l’emploi.


À Taïwan (Chen et Ku, 2003), qui n’est pas particulièrement un pays d’ancienne industrialisation, l’examen de la relation entre IDE et emploi local des firmes industrielles ayant survécu (1993-2000), montre que la production à l’étranger augmente l’emploi de personnel qualifié et réduit celui d’employés non qualifiés, sans effet notable sur l’emploi total. Le mécanisme identifié est une combinaison de substitution de la production étrangère (en particulier chinoise) à la production locale, combinée à une augmentation de la compétitivité des firmes locales se traduisant par une augmentation globale de leur production." (p.64)

L’investissement direct à l’étranger n’est pas assimilable aux délocalisations

Fontagné et Lorenzi (2004) pp. 64-67

Actualisation avec CNUCED 2004

 

Quelques données sur les conséquences de l'internationalisation des entreprises françaises

Datar (2004) et Fontagné et Jean (2004)


A défaut d’apprécier avec exactitude l’importance du processus de délocalisation, un faisceau de présomptions attestant de la vraisemblable faible ampleur du phénomène de délocalisation :

En 2002, les entreprises françaises disposaient de plus de 22 000 filiales qui employaient près de 5 millions de salariés dans le monde (source : DREE Direcion des Relations Economiques Extérieures du MINEFI)

En 2002, les filiales françaises dans les pays de l'élargissemment étaient 11 fois moins nombreuses que dans le reste du monde.

Parmi les implantations dans les pays développés, 55% se font dans les pays de l'UE soit 8 400 filiales et environ 2 millions de salariés.

En 1999-2000, moins de 5% des investissements directs français sur les marchés proches (PECO et Maghreb) et moins de 1% sur les marchés lointains.

En 1999-2000, si les investissements susceptibles de représenter des délocalisations sont principalement destinés aux pays en développement, ceux-ci n’accueillaient, à la fin de l’année
2000, "que" 10 % du stock des investissements directs français ;

Les investissements à l’étranger sont désormais plus faibles dans l’industrie que dans
les services qui représentaient plus de 60 % du stock des IDE fin 2000 ;

Au total les investissements industriels dans les pays en développement, qui constituent
un "bon" indicateur des délocalisations, ne représentent que 4 % du stock des investissements
français totaux à l’étranger (moins de 19 Mds d'euros)

Les investissements français à l'étranger créent aussi de l'activité en France


Cette hypothèse est corroborée par le fait que les investissements français dans les pays en développement relèvent de secteurs qui ont enregistré, simultanément, une croissance de l'emploi. Selon la DREE, entre 1997 et 2000, les dix secteurs industriels qui ont le plus investi à l'étranger (environ 37 Mds d'euros, soit 60 % des flux cumulés) ont créé, à l'exception de la chimie et du raffinage, près de 100 000 emplois sur le territoire national.

Au surplus, au niveau de la firme l’arbitrage entre le maintien de la production en France et la délocalisation est le plus souvent fictif. En réalité, les deux processus peuvent être à l’œuvre simultanément et résultent de la nécessité de maintenir un haut niveau de compétitivité en nouant des partenariats scientifiques et commerciaux.


Ces délocalisations peuvent, également, être suscitées par la nécessité de sous-traiter une partie de la production en vue de la réimporter dans le pays d’origine ou d’autres pays. Sur ce point, il convient de souligner que, selon le CEPII, 1 euro d’investissement à l’étranger dans une branche industrielle induit 0,59 euro d’exportations supplémentaires et 0,24 euro d’importations dans la même branche d’où résulte un excédent sectoriel de 0,35 euro.
A contrario,1 euro d’investissement étranger en France se traduit par 0,34 euro d’importations supplémentaires et " seulement " 0,22 euro d’exportations de la même branche, soit au total un déficit sectoriel de 0,12 euro.

Ces éléments inciteraient à favoriser les investissements français à l’étranger, fut-ce au prix d’un processus de délocalisation, et à limiter les investissements étrangers en France !

 


 

Mis à jour le 21 Mars 2005