Questions cruciales sur les pôles de compétitivité
LE MONDE | 19.07.05 | 12h45 • Mis à jour le 19.07.05 | 14h11


Il va falloir mener un travail très difficile et très sérieux", prévenait, mardi 12 juillet, Nicolas Sarkozy. Une semaine après l'annonce en grande pompe du palmarès des pôles de compétitivité par le gouvernement, ce vaste projet d'aménagement du territoire et de politique industrielle soulève plus de questions qu'il n'offre de réponses, à ce stade.

Trop de pôles ? En plaidant pour un grand nombre de lauréats ­ 67 pôles de compétitivité ont été retenus sur 105 candidats, alors que le gouvernement précédent avait envisagé de n'en soutenir qu'une quinzaine ­, le ministre de l'intérieur n'a pas rendu la tâche facile à ses collègues Thierry Breton et François Loos, respectivement ministres de l'économie et de l'industrie.

La plupart des pôles ont des dizaines de projets de recherche à soumettre au gouvernement, en vue d'obtenir de lui, ou des agences publiques, une part des 1,5 milliard d'euros de financement prévus. La direction générale de l'économie, en première ligne, et la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), dépendante du ministère de l'intérieur, vont devoir instruire des centaines de dossiers avec les autres ministères concernés. Le risque d'embouteillage est prévisible. A Bercy, on ne nie pas "l'ampleur" du labeur.

D'autant que le gouvernement veut aller vite pour que la forte mobilisation des industriels et des chercheurs ne s'essouffle pas. "Il ne faudrait pas qu'une certaine impréparation qu'on redoute ici ou là, dans les services de l'Etat, décourage les industriels de continuer à travailler ensemble au sein des nouveaux pôles , s'inquiète Maurice Klein, directeur général du pôle Systématic (nouveaux logiciels), pôle francilien à dimension mondiale. Cela les inciterait à se rendre, à nouveau, en ordre séparé plaider leur dossier auprès des différents organismes." Fini alors le travail en réseaux et les synergies, piliers du projet.

Des pôles à deux vitesses ? "Il vaudrait mieux parler de gradation dans les vitesses", rectifie-t-on au cabinet de M. Breton. De fait, certains pôles existaient déjà. Du coup, leurs programmes de recherche sont engagés. L'appel d'offres va leur permettre de les accélérer. Les 15 pôles classés à "dimension" ou à "vocation mondiale" par le gouvernement , disposent chacun de 1 000 à 5 000 chercheurs. Parmi les 52 restants, certains ont été retenus alors qu'ils n'étaient pas "mûrs", de l'aveu même, parfois, de leurs promoteurs. Avec 14 pôles, l'industrie agroalimentaire bat tous les records. Les projets ne sont pas tous très innovants, mais la filière totalise 10 % des emplois en France et s'appuie sur un tissu de PME réparti sur l'ensemble du territoire.

Quinze pôles mondiaux privilégiés ? Sans le dire ouvertement, le gouvernement envisage d'aider, en priorité, les 15 pôles dits "mondiaux" (au nombre de 6) ou "à vocation mondiale" (9). "Nous devons évidemment avoir une visibilité au niveau mondial", a rappelé M. Breton, le 12 juillet. "Nous avons voulu éviter le saupoudrage" , insistait Dominique de Villepin, le premier ministre, le même jour. Les gros pôles "vont bénéficier d'aides conséquentes supplémentaires" , précisait Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, dans Les Echos du 13 juillet.

Le groupe de travail interministériel (GTI), chargé de piloter la mise en place des pôles "portera une attention particulière aux projets que le CIADT -du 12 juillet- a spécifiquement distingué", indique le gouvernement. En clair, le gouvernement devrait s'appuyer sur ces 15 pôles "mondiaux" pour communiquer sur l'attractivité de la France à l'étranger.

Quel pilotage ? Le gouvernement arrêtera, à l'automne, lors d'un nouveau CIADT, le "zonage" géographique des pôles et validera leur forme juridique : association loi de 1901, groupement d'intérêt économique ou d'intérêt scientifique... Il reconnaîtra pour chacun un représentant qui ne pourra émaner de l'Etat ou d'une collectivité territoriale. Cette logistique lourde sera définie à travers un "contrat de pôle".

"Tous les contrats ne seront pas signés à l'automne" reconnaît-on, dans les ministères. Les retardataires attendront une prochaine session. Une fois validés, les pôles auront jusqu'au 31 décembre 2007 pour soumettre un projet de recherche au GTI.

Des effets d'aubaine ? Pour qu'une entreprise bénéficie des dégrèvements d'impôts ou des exonérations de charges sociales, dans le cadre d'un pôle, "il ne lui suffira pas d'être implantée dans la zone du pôle, précise M. Loos. Seules celles qui participeront à un projet de recherche pourront y prétendre. Ceci pour éviter les effets d'aubaine. Nous privilégierons les programmes de recherche qui seront les plus immédiatement créateurs d'emplois", indique-t-il. Un projet ne sera validé que s'il implique "au moins deux entreprises et un laboratoire de recherche indépendant".

Quel rôle pour les agences publiques ? Outre les crédits des ministères, les pôles seront soutenus par la Caisse des dépôts, l'Agence nationale de la recherche (ANR), Oséo (fusion de l'Anvar et la BDPME) et la nouvelle Agence de l'innovation industrielle (AII).

Dans une note uniquement adressée aux lauréats, le gouvernement précise que les financements des agences concerneront "tout particulièrement" les 15 pôles. Au ministère de l'économie, on assure toutefois qu'"on souhaite éviter les rigidités. Les projets porteurs des petits pôles pourront prétendre aussi aux subventions des agences".

Quelle place pour les collectivités locales ? Régions, agglomérations, départements vont soutenir les pôles, autant, voire plus, que l'Etat sur certains territoires : "On espère 50 millions d'euros de l'Etat et à peu près la même chose des régions Picardie et Champagne-Ardenne", escompte Daniel Thomas, premier vice-président du pôle "industrie et agro-ressources" à cheval sur les deux régions. Ce qui suppose que les élus locaux articulent leurs interventions avec celles de l'Etat et arrivent à travailler ensemble, notamment sur les dix-neuf pôles "interrégionaux".

Les recalés seront-ils repêchés ? Les 38 candidats non labélisés devront se partage une enveloppe de 4 millions d'euros de l'Etat par an, pendant trois ans, pour peaufiner leur dossier, en vue de nouveaux appel à candidatures.

Béatrice Jérôme et Laetitia Clavreul

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Des financements multiples

Aides aux entreprises. Le gouvernement accordera des dégrèvements d'impôts ­ qui seront plafonnés ­ ainsi que des exonérations de charges sociales pour les chercheurs salariés des entreprises qui participent à un programme de recherche. Le coût de ces mesures est estimé à 300 millions d'euros.

Crédits des ministères. Quelque 400 millions d'euros de crédits, dont 200 millions d'euros du ministère de l'économie, seront versés aux pôles. Entre 30 et 40 millions d'euros seront dédiés à l'animation des projets.

Subventions des agences. Elles s'élèvent à 800 millions d'euros, répartis entre la Caisse des dépôts, l'Agence nationale de la recherche, Oséo et l'Agence pour l'innovation industrielle.