Dans son pays, on le décrit comme "deftig", ce qui se traduit
tout à la fois par grave, sérieux, aristocratique. Cela néglige
deux autres traits de la personnalité du Néerlandais Frits Bolkestein
: l'humour et l'art du sous-entendu. Venu à Paris "à
mes frais", précise-t-il pour une campagne mêlant explication
et séduction, l'ancien commissaire européen au marché intérieur
a beaucoup joué sur ces deux registres.
Mercredi 6 avril, dans les studios de France-Inter, puis devant la presse internationale et lors d'entretiens, avec Le Monde notamment, il a, après un bref passage, la veille, sur un plateau de France 3, dit ses regrets et son incompréhension face à la tournure prise par un débat centré tout autant sur son projet de directive visant à libéraliser les services que sur le projet de traité constitutionnel.
"Je ne suis pas venu en France pour débattre du traité, et je regrette les amalgames avec cette directive qui, malheureusement, porte mon nom", précise l'ancien commissaire. Son nom qui, rappelle-t-il, est "Bol-ke-stein et pas Frankenstein". "Notez qu'il peut, aussi, rimer avec Einstein", glisse-t-il.
L'ancien président de l'Internationale libérale voulait décrire les choses de manière imagée : "Il n'y aura pas de tsunami d'ouvriers polonais en France" si une directive voit le jour et est appliquée, soit "pas avant 2010 ou 2011", insiste-t-il. Des ouvriers, des informaticiens, des intérimaires débarquant en masse et cassant les prix ? Inimaginable, réplique Frits Bolkestein. "Le plombier polonais désireux de s'établir commencera par apprendre le français et louer un magasin, se soumettant ainsi aux règles françaises."
Son texte, que le Parlement européen et le Conseil et donc les ministres français, insiste-t-il pourra "amender, peaufiner, améliorer", mais pas "reprendre à zéro", ne créerait aucune règle de droit nouvelle, aurait un effet "très positif" pour la croissance et l'emploi et ne ferait que traduire l'un des quatre droits fondamentaux évoqués par le traité de Rome : le libre mouvement des services, après celui des personnes, des biens et des capitaux.
La France, "dotée d'une vaste population, instruite et douée", n'a pas à craindre le dumping social, elle qui dispose d'un secteur des services performant, "le quatrième au plan mondial." "Elle est l'un des Etats membres qui a le plus à gagner et je ne comprends pas ses peurs, son attitude défensive", martèle l'ex-commissaire. A moins qu'il faille lire les débats actuels sous l'angle d'enjeux politiques nationaux, "ce que je m'abstiens de faire."
La France a-t-elle, d'une manière ou d'une autre, manifesté ses réticences lors des discussions sur le texte ? "Pas que je sache", répond l'ancien membre de la Commission Prodi. "A Bruxelles, j'ai toujours entretenu d'excellents contacts avec la représentation permanente française." Ses ex-collègues, Michel Barnier et Pascal Lamy, n'ont-ils soulevé aucune objection ? "Au cours du cheminement d'une directive, les services et les différents cabinets se concertent. Les représentants de mes deux collègues français ont participé aux traditionnelles discussions destinées à "déblayer le terrain" avant l'intervention de la Commission sur les points de désaccord. Sur cette directive, le seul problème posé a été celui des jeux de hasard", affirme, sans sourciller, M. Bolkestein.
"Par la suite, détaille-t-il, le gouvernement français ne s'est pas manifesté. Pas auprès de moi en tout cas. Peut-être l'a-t-il fait à mon insu auprès de mes services ou de mon cabinet, via la représentation permanente, démarche fréquente et pas du tout anormale."
Si les Français répondent non le 29 mai ? "Ce ne sera ni la fin de l'Europe ni la fin du monde, mais j'imagine qu'il y aura des conséquences sur le plan de la politique intérieure", répond-il, estimant que sa visite n'aura réjoui "ni le gouvernement français, ni M. Barroso", le président de la Commission qui, après des hésitations, s'est dit ouvert à une nouvelle discussion de son texte. "J'ai cru comprendre qu'il avait évoqué un réaménagement technique et pas un retrait du texte. Pourquoi en irait-il autrement, d'ailleurs ?", s'interroge celui qui, dans son pays, on traite aussi de "provocateur".
Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 08.04.05