Gouvernance
Source : adaptation d'un fichier issu des chercheurs du FMI

I) Introduction
1. QU'EST-CE QUE LA GOUVERNANCE ?
UNE NOTION D'ORIGINE ECONOMIQUE
LA GOUVERNANCE POUR DESIGNER LES TRANSFORMATIONS DES FORMES DE L'ACTION PUBLIQUE
EFFICACITE CONTRE LEGITIMITE DES INSTITUTIONS POLITIQUES, LIBERALISATION CONTRE DEMOCRATISATION DES SOCIETES


II) GOUVERNANCE URBAINE, GOUVERNANCE LOCALE
dans les pays développés
2.1. L'EPUISEMENT DES FORMES TRADITIONNELLES D'ACTION PUBLIQUE
2.2. LES ENJEUX DE LA GOUVERNANCE URBAINE
2.3. L'ADAPTATION DES FORMES ET DES METHODES DE GOUVERNEMENT DES VILLES AUX ENJEUX DE LA GOUVERNANCE URBAINE
Créer les conditions d'une démocratie locale participative
Améliorer le partenariat entre les pouvoirs publics et le secteur privé
Encourager la coopération entre communes
Adopter ou généraliser l'utilisation de nouveaux instruments et de nouveaux principes de gestion publique

I) Introduction

Depuis quelques années, la gouvernance fait l'objet d'un grand nombre de travaux qui ont pour caractéristiques d'être très hétérogènes. En effet, ceux-ci relèvent de disciplines et de racines théoriques variées allant de l'économie institutionnelle aux relations internationales en passant par l'économie ou la sociologie des organisations, l'économie du développement, la science politique ou encore l'administration publique.

L'appropriation de cette notion par différents courants de pensée fait que le terme de " gouvernance " revêt aujourd'hui de multiples significations et se prête à de multiples usages. Le terme est ainsi associé à tout type de politique publique ou privée et décliné en fonction des différentes échelles territoriales d'intervention.
Exemples : gouvernance de l'emploi, gouvernance des politiques monétaires, gouvernance des entreprises, gouvernance locale, gouvernance mondiale, gouvernance globale, gouvernance des régions européennes, gouvernance urbaine, etc. En fait, ces diverses interprétations renvoient à des convictions idéologiques différentes, voire opposées.

Nous allons donc faire le point sur la notion de gouvernance, sur sa genèse, sur ce qu'elle recouvre et sur les finalités de son utilisation. Il est en effet possible, malgré l'absence d'unité dans les travaux, de dégager un " socle commun " sur lequel s'appuient les différentes approches développées en termes de gouvernance.

Si l'on examine respectivement la gouvernance mondiale, la " bonne gouvernance " et la gouvernance urbaine, ont s'aperçoit d'un glissement qui s'opère d'une conception de la gouvernance centrée sur les économies à une conception axée sur les territoires, suivant la position idéologique adoptée. En effet, la gouvernance peut être vue comme un instrument de renforcement de la libéralisation des économies ou au contraire comme un outil permettant de maintenir ou de rétablir une cohésion territoriale. Le premier point de vue prévaut principalement dans les réflexions portant sur les relations internationales ; le second point de vue est plus fréquemment adopté dans les travaux sur la gouvernance urbaine. Nous allons insister ici uniquement sur ce deuxième type d'approche.

1. QU'EST-CE QUE LA GOUVERNANCE ?
UNE NOTION D'ORIGINE ECONOMIQUE

Le terme de " governance " est apparu il y a plus d'un demi-siècle chez les économistes américains. Ronald Coase, jeune économiste, publie en 1937 un article, The Nature of the firm dans lequel il explique que la firme émerge car ses modes de coordination interne permettent de réduire les coûts de transaction que génère le marché ; la firme s'avère plus efficace que le marché pour organiser certains échanges. Cette théorie, redécouverte dans les années 70 par les économistes institutionnalistes, et en particulier par Olivier Williamson, débouche sur des travaux qui définissent la gouvernance comme :
les dispositifs mis en oeuvre par la firme pour mener des coordinations efficaces qui relèvent de deux registres : protocoles internes lorsque la firme est intégrée (hiérarchie) ou contrats, partenariat, usage de normes lorsqu'elle s'ouvre à des sous-traitants.
Le terme " corporate governance ", qu'on peut traduire par gouvernance d'entreprises, va ensuite être utilisé dans les milieux d'affaires américains tout au long des années 80.

A la fin des années 80, la notion est importée dans les sciences politiques anglaises à l'occasion du financement par le gouvernement d'un programme de recherche sur le thème de la recomposition du pouvoir local. En effet, à partir de 1979, le gouvernement de Margaret Thatcher a mis en place une série de réformes visant à limiter le pouvoir des autorités locales, jugées inefficaces et trop coûteuses, par le renforcement de la centralisation et la privatisation de certains services publics. Le gouvernement local britannique n'a cependant pas disparu mais il s'est au contraire restructuré pour survivre aux réformes et aux pressions gouvernementales. Les chercheurs qui se sont penchés sur ces transformations des modes de gouvernement des institutions locales anglaises ont choisi le terme de " urban governance " pour qualifier leurs recherches. Ils ont ainsi souhaité se démarquer de la notion de " local government " associée au précédent régime décentralisé condamné par le pouvoir central. Par la suite, la notion de " urban governance " a été reprise par d'autres pays européens et s'est généralisée dans l'étude des pouvoirs locaux.

La notion de gouvernance fait par ailleurs son apparition à la fin des années 80 dans un autre champ, celui des relations internationales. Le terme de " good governance " est employé par les institutions financières internationales pour définir les critères d'une bonne administration publique dans les pays soumis à des programmes d'ajustement structurel. Les organismes de prêt internationaux préconisent par le biais de cette notion des réformes institutionnelles nécessaires à la réussite de leurs programmes économiques.

Le terme de gouvernance aurait donc été importé du monde de l'entreprise pour désigner des modes de coordination et de partenariat différents du marché mis en oeuvre au niveau du pouvoir politique.

LA GOUVERNANCE POUR DESIGNER LES TRANSFORMATIONS DES FORMES DE L'ACTION PUBLIQUE

Bien que la notion de gouvernance soit employée par des courants de pensée différents avec des finalités différentes, il est possible de déterminer quels sont les éléments communs auxquels se réfèrent les différentes approches lorsqu'elles utilisent ce terme.

Le terme de gouvernance est apparu pour rendre compte des transformations des formes de l'action publique. La gouvernance se définit de manière générale comme
" un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux, d'institutions, pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés et incertains "
ou encore comme
" les nouvelles formes interactives de gouvernement dans lesquelles les acteurs privés, les différentes organisations publiques, les groupes ou communautés de citoyens, ou d'autres types d'acteurs, prennent part à la formulation de la politique "

La gouvernance met l'accent sur plusieurs types de transformation des modalités de l'action publique :
- elle repose sur une dénonciation du modèle de politique traditionnel qui confie aux seules autorités politiques la responsabilité de la gestion des affaires publiques. Elle se distingue donc de l'idée classique du gouvernement. Le gouvernement se caractérise par la capacité de prendre des décisions et de pouvoir les appliquer en vertu d'un pouvoir coercitif légitime dont les institutions de gouvernement ont le monopole. Avec la notion de gouvernance, "le rôle surplombant de contrôle et de commandement, centré sur une construction institutionnelle est remis en cause au profit d'une approche plurale et interactive du pouvoir ".
Cette conception repose sur l'hypothèse selon laquelle les sociétés connaissent actuellement une crise de la gouvernabilité, des problèmes d'échec à gouverner ou encore une ingouvernabilité des systèmes. La gouvernance apparaît alors comme la meilleure réponse possible aux contradictions engendrées par le développement politique et social, comme un moyen de répondre à la crise par de nouvelles formes de régulation.

- elle met l'accent sur la multiplicité et la diversité des acteurs qui interviennent ou peuvent intervenir dans la gestion des affaires publiques. La crise de la gouvernabilité invite en effet les Etats, les collectivités territoriales, les organismes internationaux ou les différentes régions du monde à se tourner vers des interlocuteurs, tels que les organisations à but non lucratif, les entreprises privées et les citoyens, qui sont en mesure de trouver des solutions aux problèmes collectifs que rencontrent la société. Ce faisant, la gouvernance attire l'attention sur le déplacement des responsabilités qui s'opère entre l'Etat, la société civile et les forces du marché lorsque de nouveaux acteurs sont associés au processus de décision et sur le déplacement des frontières entre le secteur privé et le secteur public. Les autorités publiques qui s'en remettent davantage aux secteurs privé et associatif voient leur rôle modifié ; d'interventionnistes, elles doivent passer à un rôle de facilitateur, de stratège, d'animateur, de régulateur.

- la notion de gouvernance met également l'accent sur l'interdépendance des pouvoirs associés à l'action collective. La gestion des affaires publiques repose sur un processus d'interaction/négociation entre intervenants hétérogènes. "Dans la nouvelle gouvernance, les acteurs de toute nature et les institutions publiques s'associent, mettent en commun leurs ressources, leur expertise, leurs capacités et leurs projets, et créent une nouvelle coalition d'action fondée sur le partage des responsabilités". Cette interaction est rendue nécessaire par le fait qu'aucun acteur, public ou privé, ne dispose des connaissances et des moyens nécessaires pour s'attaquer seuls aux problèmes. La gouvernance implique donc la participation, la négociation et la coordination. Une large place doit être faite à l'espace public, " celui dans lequel les différentes composantes de la société affirment leur existence, entrent en communication les unes avec les autres, débattent en exerçant leur pouvoir d'expression et de critique ". Ces négociations doivent permettre de dépasser les intérêts divers et conflictuels et éventuellement de parvenir à un consensus. La rationalité procédurale joue un rôle aussi important que la rationalité substantielle dans la mesure où l'accent est mis autant sur le processus de dialogue que sur le résultat de ce processus.

En résumé, la gouvernance trouverait donc son fondement dans un dysfonctionnement croissant de l'action publique qui dicterait l'émergence de nouveaux principes et de nouvelles modalités de régulation publique. Celles-ci consistent à associer à la gestion des affaires publiques des acteurs de toute nature, membres de la société civile, professionnels, citoyens, syndicalistes, au travers de processus de participation et de négociation qui doivent permettre de déboucher sur des objectifs et des projets communs. On peut toutefois légitimement se demander à quelles fins la notion de gouvernance est utilisée.

EFFICACITE CONTRE LEGITIMITE DES INSTITUTIONS POLITIQUES, LIBERALISATION CONTRE DEMOCRATISATION DES SOCIETES

La notion de gouvernance telle qu'elle apparaît dans l'ensemble de la littérature consacrée à cette question, a, sans conteste, une valeur analytique. Elle permet de mettre en lumière des phénomènes tels que la relativisation des frontières institutionnelles ou l'existence de mécanismes de coopération et de négociation dont l'ampleur ne peut être saisi par la notion de gouvernement. La notion de gouvernance fournit donc un cadre conceptuel qui permet de penser et de comprendre l'évolution des processus de gouvernement. Elle offre une nouvelle grille de lecture et d'analyse, un système de référence qui remet en question une grande partie des présupposés sur lesquels se fonde l'administration publique traditionnelle.

La notion de gouvernance a par ailleurs une ambition à la fois descriptive, de caractérisation des formes émergentes de l'action publique et normative, de détermination de l'orientation des changements nécessaires.

Une des caractéristiques de la gouvernance est qu'elle possède un fort contenu politique voire idéologique, qui n'est pas toujours explicité par les auteurs des différents travaux sur le sujet. On peut distinguer en effet deux grandes approches de la gouvernance : une approche gestionnaire et une approche plus politique.

Dans la première approche, la gouvernance donne lieu à des travaux qui portent sur les politiques publiques, les nouveaux modes de coordination entre acteurs, les conditions de leur coopération et les principaux problèmes que ce partenariat soulève ou sur la définition des conditions de la bonne gouvernance. La gouvernance n'est alors envisagée que sous l'angle des modes de coordination permettant d'améliorer l'efficacité de l'action publique. C'est par exemple le cas des travaux menés par les économistes américains du " public choice " qui s'intéressent principalement au rapport coût/efficacité de l'action collective et recherchent, au niveau de l'Etat, de nouveaux principes d'action permettant d'améliorer son fonctionnement. La transformation des modes de régulation n'est justifiée que par des principes gestionnaires et utilitaristes : la modernisation des structures de gouvernement est une nécessité compte tenu de leur relative inefficacité et des gaspillages financiers auxquelles elles conduisent en période de restrictions budgétaires.

A une conception que l'on peut qualifier de restrictive de la gouvernance, répond une seconde acception plus large. La gouvernance est appréhendée par d'autres auteurs comme allant au-delà de ces aspects instrumentaux dans la mesure où, derrière la transformation des manières de faire, se profile la question des luttes de pouvoir, de la légitimité de ceux qui sont associés au processus de décision, de l'émergence ou de la disparition d'acteurs politiques c'est-à-dire de niveaux significatifs de l'organisation sociale et politique.

La gouvernance permet alors de rendre compte de l'articulation de régulations, de "processus politiques et sociaux d'intégration, d'élaboration de projets collectifs, d'agrégation de différents intérêts recomposés et représentés sur une scène extérieure " (Patrick Le Galès). La notion de gouvernance permet d'aller au-delà des problèmes de coordination et d'efficacité en intégrant une dimension politique et sociale. La réflexion porte non plus seulement sur les modes les plus efficaces et efficients du management de la société mais aussi sur l'exercice du pouvoir et de la domination. On passe ainsi de la question de la gouvernance de l'économie, développée par les économistes institutionnels ou la sociologie des organisations, à la gouvernance des territoires qui intéresse la sociologie et la science politique.

A cette grille d'analyse se superpose une autre lecture de la gouvernance en termes de positions idéologiques ; la notion recouvre des choix idéologiques différents et parfois même opposés. Il n'existe pas de position commune sur les finalités de la gouvernance. La gouvernance constitue pour certains un instrument au service de la poursuite de la libéralisation des sociétés dans la mesure où elle consiste à limiter le rôle des gouvernements et à faire entrer dans le processus de décision des acteurs non-gouvernementaux en privatisant les entreprises et certains services publics, en dérégulant et en déréglementant. Les tenants d'une approche " économiciste ", gestionnaire de la gouvernance dissimulent fréquemment leurs intentions qui ne sont autres que l'extension du marché capitaliste. Pour d'autres, principalement ceux qui développent une approche en termes de pouvoir, la gouvernance est perçue comme une voie ouverte à la démocratisation du fonctionnement étatique, à la mobilisation civique et aux initiatives locales et citoyennes.

En définitive, la notion de gouvernance offre une grille d'interprétation nouvelle du politique et des relations entre les institutions et le politique non-institué. Cette grille d'analyse est appliquée à tous les processus de gouvernement, du gouvernement mondial au gouvernement local et concerne les pays développés comme les pays en développement. Suivant les choix idéologiques qu'elle recouvre, la gouvernance consiste à réformer les institutions politiques pour limiter les entraves au bon fonctionnement du marché (conception dominante dans le champ des relations internationales) ou au contraire à renforcer les mécanismes de régulation pour lutter contre les effets du libéralisme et en particulier contre la décohésion sociale (conception dominante en matière de gouvernance urbaine).


LA GOUVERNANCE URBAINE

Au contraire des approches développées dans le cadre de réflexions sur la gouvernance mondiale, un certain nombre d'auteurs travaillant sur la problématique des villes ont résolument opté pour une vision territoriale de la gouvernance. Celle-ci permettrait non pas de faire le jeu du marché mais au contraire de lutter contre ses méfaits, les mécanismes de régulation publique en place ne permettant plus d'y faire face. Le constat est donc le même - il existe une crise de la gouvernabilité - mais le remède est différent - la gouvernance permettrait d'assurer la cohésion d'un territoire.

L'EPUISEMENT DES FORMES TRADITIONNELLES D'ACTION PUBLIQUE

Comme nous l'avons déjà évoqué, l'hypothèse sous-jacente à l'idée de gouvernance est l'existence d'une crise de la gouvernabilité des sociétés. Les gouvernements institués, ceux des Etats comme ceux des communes, auraient perdu leur capacité d'action du fait des mutations en cours dans la société. La mondialisation des marchés et de la production, la globalisation financière, la puissance accrue d'entreprises devenues transnationales ont en effet des répercussions que ne parviennent plus à gérer les pouvoirs publics.

Ainsi, la mondialisation des échanges s'accompagne d'un creusement des écarts entre population riche et population pauvre que ce soit à l'échelle internationale ou nationale. Les Etats-nations semblent impuissants à maîtriser ces tendances, à freiner ces évolutions qui débouchent sur un chômage accru dans les pays occidentaux et sur l'apparition de situations de grande pauvreté. Les Etats ne parviennent plus, à l'intérieur de leur frontière, à assurer une redistribution des richesses susceptibles de réduire ces inégalités et à assurer la cohésion sociale.

La gouvernabilité des Etats est mise à mal par un processus de fragmentation qui touche à la fois l'espace, les groupes sociaux et les activités et se rencontre à toutes les échelles spatiales, de la ville au pays. Il se manifeste, sur le plan spatial, par des déséquilibres territoriaux tels que la concentration des populations dans les zones urbaines ou encore l'étalement et le mitage de la ville. Sur le plan social, il se traduit par la multiplication des catégories de population ; la société agrège désormais des populations très différentes aux intérêts de plus en plus diversifiés et donc aux exigences variées et contradictoires.

Le processus d'éclatement touche enfin les acteurs de la société ; on assiste en effet à une multiplication des organismes, des réseaux, des agences, des institutions qui interviennent sur un territoire et à l'accroissement du nombre des sous-systèmes. De plus en plus de décideurs aux intérêts et aux systèmes de valeur divergents voire opposés entrent en jeu. Cette superposition d'acteurs conduit à un émiettement du pouvoir sur un plan horizontal mais aussi sur un plan vertical puisqu'interviennent sur un même territoire des autorités politiques de différents niveaux administratifs. Ce processus de fragmentation fait du système territorial une organisation de plus en plus complexe donc de plus en plus difficile à gérer.

A la complexité des sociétés s'ajoute le problème de l'incertitude qui caractérise l'avenir. Il devient de plus en plus difficile pour les pouvoirs publics de prendre des décisions dans un univers non stabilisé où il est malaisé de prévoir les conséquences d'une action, d'anticiper les évolutions futures. Il s'agit de parvenir à garder un cap malgré un contexte mouvant ce qui implique de posséder de fortes capacités d'adaptation et de s'engager dans des actions qui ne créent pas d'irréversibilités.

Ce que l'on peut qualifier de " crise du politique " se double d'une crise de la citoyenneté. Les populations ont pris conscience des limites des institutions politiques et de l'impuissance des responsables politiques. Les discours politiques apparaissent comme peu convaincants et les politiques publiques sont souvent jugées inopérantes face aux grands problèmes contemporains. Les citoyens se sentent également peu écoutés et peu associés aux décisions qui les concernent. Le pouvoir politique est accusé d'être déconnecté de la société civile. La globalisation a, d'autre part, tendance à bouleverser les repères des citoyens, à modifier les cadres d'appartenance dans lesquels se sont organisées les sociétés européennes. Les citoyens manifestent donc une certaine inquiétude vis-à-vis d'un passé perdu et d'un futur inconnu, porteur d'insécurité.

La mondialisation des échanges, la complexité accrue des sociétés liée à leur fragmentation, l'imprévisibilité de l'avenir, la déconnexion entre autorités politiques et citoyens expliqueraient la défaillance des modèles traditionnels d'action publique. Les pouvoirs publics seraient dans l'obligation d'adapter leur mode d'action publique afin de répondre aux défis qui ont pour nom chômage, fracture sociale, peur de l'avenir et désappartenances sociales. L'importance de ces enjeux au niveau local et plus particulièrement au niveau urbain explique l'intérêt que suscite la notion de gouvernance urbaine et donc le nombre importants de travaux qui ont été développés dans ce sens.

LES ENJEUX DE LA GOUVERNANCE URBAINE

La crise de la gouvernabilité qui touche les autorités politiques a eu un grand retentissement au niveau du pouvoir local car celui-ci connaît depuis plus de 15 ans des évolutions institutionnelles importantes dans l'Europe tout entière. Les réformes de décentralisation qui ont permis une relative émancipation des collectivités locales vis-à-vis de l'Etat d'un côté et l'évolution de l'économie mondiale et la constitution de l'Union européenne qui ont affaibli le pouvoir des Etats de l'autre ont fait naître une mobilisation politique et sociale territorialisée. Les autorités locales en général et les villes et les métropoles en particulier ont vu croître, de ce fait, leur pouvoir et leur puissance politique et économique.

Les enjeux essentiels attachés à l'urbain expliquent l'importance qu'ont pris les réformes de décentralisation pour les grandes villes et les agglomérations. Celles-ci sont sans conteste les grands bénéficiaires de ces réformes. Selon Patrick Le Galès, la décentralisation a consacré la différence entre le gouvernement urbain et le gouvernement rural. L'étude du gouvernement des villes suscite donc un intérêt plus grand parce que ses transformations s'écartent du modèle général de système local et que les enjeux liés à la ville sont forts. Ceci explique pourquoi la problématique de la gouvernance urbaine a fait une percée plus forte dans les travaux que la gouvernance locale. Les villes sont devenues le lieu privilégié de l'innovation sociale et politique, notamment dans le domaine de la gestion des affaires publiques, en réponse à la crise de la gouvernabilité qui touche également le pouvoir local.

La notion de gouvernance urbaine permet, à tout un courant de pensée, d'analyser l'organisation et la formation d'un acteur " ville ". Les mouvements de décentralisation et de mondialisation ont en effet conduit à transformer certaines villes et même certaines régions en acteurs politiques et sociaux à part entière. La notion de gouvernance permet de rendre compte de ce renforcement de l'organisation politique et sociale des villes. Elle permet d'analyser les transformations du pouvoir local, l'organisation des intérêts et des élites, les mécanismes de création d'identité collective, les formes d'action publique moderniste qui se développent en réponse aux défis qu'ont à relever les autorités politiques locales.

Tel qu'il est conçu par ce courant de pensée, le principe de gouvernance permet d'étudier les efforts qui sont faits pour tenter de contrer le mouvement d'éclatement à travers l'intégration des groupes sociaux et des acteurs publics et privés, la coordination des différents acteurs entre eux et l'implication des citoyens. Au processus d'éclatement, de fragmentation répond un processus de recomposition, d'intégration. La gouvernance constitue, dans cette optique, une réponse à une vision strictement libérale du développement urbain qui fait peser des menaces d'éclatement social et de développement fragmenté sur la ville. Un des enjeux de la gouvernance urbaine pour les pouvoirs publics est bien de parvenir à reconstruire l'unité sociale de la ville, une identité collective par le biais de politiques publiques produisant des appartenances. Il s'agit de parvenir à rétablir des cohérences sur un territoire.

L'enjeu est social mais aussi économique. La mondialisation et la décentralisation placent désormais les villes au coeur de la compétition économique. La mobilisation de groupes sociaux, d'institutions, d'acteurs privés et publics, de citoyens répond à la nécessité pour une ville d'élaborer des projets collectifs lui permettant de s'adapter aux transformations économiques et de s'imposer face au marché. Les villes se livrent désormais une concurrence accrue entre elles que ce soit à l'échelle locale, nationale ou internationale. Dès lors, les autorités politiques locales élaborent des stratégies, les traduisent en projets et mobilisent l'ensemble des acteurs de la société locale autour de ces projets. L'enjeu est d'exister en tant qu'acteur et la condition en est de posséder un projet fédérateur fort qui donnera une identité à la ville, qui cristallisera les énergies. La poussée du marché conduirait paradoxalement à une forme de retour du politique sur des territoires infra-étatiques comme les villes.

En fait, il existe, au niveau des villes européennes, différentes configurations en fonction de l'importance accordée aux différents enjeux et en fonction des mécanismes de régulation adoptés. Les villes scandinaves ou italiennes demeurent structurées par l'Etat et les services sociaux car la lutte contre la ségrégation sociale, le maintien de la cohésion sociale sont au coeur des politiques urbaines. A l'inverse, certaines villes sont dominées par des régulations politiques et de marché qui leur sont extérieures et ne font pas figure d'acteurs ; la gouvernance est alors faible et fragmentée et la compétition économique domine (Paris, Londres). D'autres villes sont marquées par l'intégration de différents groupes et acteurs organisés pour mettre en oeuvre une stratégie collective (Barcelone, Rennes, Bologne). D'autres enfin se mobilisent uniquement en faveur du développement économique sans trop de préoccupations pour les groupes les moins favorisés.

En définitive, les mutations en cours ont remis en cause le modèle de la politique urbaine traditionnelle qui confiait aux seules autorités politiques la responsabilité de la gestion de la ville. Les villes doivent s'adapter et trouver de nouvelles démarches de gestion stratégique prenant en compte la complexité et la diversification des régulations, l'imprévisibilité de l'avenir, etc. Le rôle politique qui leur est désormais reconnu et les défis qu'elles ont à relever font des villes un terrain privilégié de l'innovation sociale et politique, notamment en matière de formes de régulation publique.

L'ADAPTATION DES FORMES ET DES METHODES DE GOUVERNEMENT DES VILLES AUX ENJEUX DE LA GOUVERNANCE URBAINE

La gouvernance urbaine c'est donc finalement la capacité et la co-responsabilité de projet, la possibilité d'établir un cadre collectif d'action solidaire, de réflexion stratégique reliant les principaux acteurs autour du niveau de décision politique. A chaque niveau, le partenariat doit pouvoir se concrétiser autour d'une stratégie commune, d'un cadre collectif d'intervention donnant du sens à l'action urbaine, d'un projet suffisamment mobilisateur pour motiver toutes les parties concernées.

C'est de la construction de ce projet que naît l'identité collective. C'est lui qui contribue à faire exister un territoire qui ne soit pas que le pur espace de la concurrence économique. La gouvernance repose donc sur la construction de projets concertés de développement territorial. L'une des questions essentielles qui se pose alors est celle de l'échelle pertinente d'élaboration de ce projet. La plupart des auteurs s'accordent à dire qu'il faut renoncer à identifier un territoire pertinent d'intervention car il n'existe pas d'échelle territoriale optimale pour favoriser le développement ou promouvoir l'innovation sociale. Les périmètres à considérer sont à géométrie variable en fonction des problèmes à résoudre. Il est vrai cependant que ce sont davantage les liens qui se tissent entre acteurs qui fondent un territoire que les critères physiques de proximité géographique par exemple.

La gouvernance urbaine, telle qu'elle a été définie, implique l'établissement de nouveaux partenariats, sur un plan horizontal comme sur un plan vertical, et une redéfinition des règles et des principes de l'action publique. Ces nouveaux modes de l'action publique sont soit déjà expérimentés, soit restent à inventer. Ils relèvent de plusieurs domaines :

Créer les conditions d'une démocratie locale participative

Les autorités locales ont compris depuis longtemps qu'il était difficile de gouverner sans tenir compte des demandes sociales qui se font jour dans les villes et sans associer les citoyens et les associations locales aux projets qui les concernent. Des dispositifs de participation des habitants aux politiques urbaines ont donc été mis en place le plus souvent à l'échelle du quartier sous forme de commissions locales, de commissions extra-municipales, de comités de quartiers.

La gouvernance implique désormais qu'une citoyenneté se mobilise à l'échelle de la ville ou de l'agglomération, à l'échelle à laquelle se pose tel ou tel problème d'aménagement, de transport, de sécurité et qu'elle ne se limite pas uniquement à une citoyenneté de proximité. Elle devrait reposer sur une véritable participation du citoyen à toutes les étapes de la mise en place d'un projet ou à certaines d'entre elles. Ces étapes sont le diagnostic, la formulation d'un problème, l'élaboration d'une stratégie, la définition de ses objectifs et des moyens affectés, la mise en oeuvre du projet et son évaluation. Il s'agit d'aller au-delà de la simple information et consultation de la population et de parvenir à établir une véritable relation de partenariat avec les habitants afin de rapprocher la décision du citoyen.

L'adhésion des habitants aux projets qui les concernent et essentielle mais pose la question de leur représentation. La citoyenneté s'exprime en général par le regroupement d'individus au sein de structures associatives qui défendent des intérêts organisés. Mais tout se passe aujourd'hui comme si ce type de représentation légale était galvaudé et n'avait plus la légitimité suffisante pour exprimer les intérêts collectifs. De nouveaux lieux de débat public, de nouveaux espaces publics d'élaboration de projets, de nouvelles formes de médiation doivent être expérimentés afin que les citoyens et les représentants de la société civile puissent se rencontrer, confronter leurs intérêts, délibérer et participer à la décision.

Améliorer le partenariat entre les pouvoirs publics et le secteur privé

Les acteurs privés (banques, entreprises, prestataires de services urbains) sont devenus, depuis longtemps, des acteurs incontournables des politiques urbaines locales. Ils ont régulièrement collaboré avec les pouvoirs publics sous des formes diverses dans le champ du développement et de l'aménagement urbain. Le processus d'intégration européenne, la mondialisation, la montée en puissance des villes et le développement de la concurrence entre elles ont accru le rôle joué par le secteur privé dans la gestion des affaires publiques. Les partenariats public-privé se sont multipliés rapidement dans les projets urbains dans la plupart des pays d'Europe.

L'enjeu actuel est de parvenir à concilier la logique des élus et celle des chefs d'entreprises, qui n'ont ni les mêmes intérêts, ni les mêmes horizons temporels, ni les mêmes mécanismes d'action et ce à une époque marquée par l'incertitude et la rareté des disponibilités financières. La gouvernance suggère en fait d'imaginer de nouvelles formes de partenariat tant en matière de montage financier et technique des projets que de conduite des opérations et de gestion des équipements. Pouvoirs publics et secteur privé doivent parvenir à s'entendre sur des projets communs propres à déclencher des dynamiques urbaines sans que la logique de marché ne prenne le pas sur l'intérêt général et sans qu'il y ait confusion des rôles. Pour Patrick Le Galès, " au-delà des entreprises " parasites " et des individus qui cherchent à tirer profit des biens collectifs produits, il existe des acteurs privés et/ou groupes d'intérêts professionnels susceptibles de contribuer à la gouvernance urbaine et d'orienter (du moins partiellement) leurs stratégies de manière à participer à la production de certains biens collectifs " (21).

Encourager la coopération entre communes

Les relations entre communes sont marquées à la fois par un élargissement des systèmes de coopération et d'échanges et par une accentuation de la concurrence, la diminution globale des ressources poussant les villes à tout mettre en oeuvre pour attirer sur leur territoire les investissements publics et privés et une population qualifiée. Cette logique de compétition a conduit à l'émergence d'un gouvernement urbain entreprenarial et à la mise en place de stratégies entreprenariales. Cela s'est traduit par le lancement de grands projets urbains modernistes, le développement d'opération de marketing urbain, la recherche de l'amélioration de l'environnement des entreprises et donc par la mise en place de festivals culturels de prestiges, la réalisation de technopole, de vastes opérations de bureaux, de réseaux de communication avancés ; ces opérations se font souvent au détriment d'investissements payants sur le long terme comme les équipements de base, l'éducation ou la formation.

Pour contrer cette tendance, les différents pays d'Europe ont pris de nouvelles mesures législatives au début des années 90 pour relancer la coopération entre collectivités locales et assurer l'équité entre communes. Deux conditions doivent être réunies pour que des gouvernements métropolitains trouvent leur place dans le système institutionnel :
d'une part, il faut passer d'une institution imposée à une institution négociée, c'est-à-dire à une institution considérée non plus comme un cadre figé de gouvernement mais comme un construit social , produit de l'ensemble des acteurs impliqués sur un territoire donné ; le gouvernement doit donc être basé sur une identité métropolitaine, ce qui le rend apte à être légitime.
D'autre part, il convient de maintenir les autres niveaux territoriaux d'appartenance, en particulier de maintenir l'institution communale.

La réalisation de la coopération intercommunale au sein des agglomérations pose un certain nombre de problèmes qui ont trait principalement à la question des échelles pertinentes de gestion. Quoi qu'il en soit, il est important de progresser dans cette voie pour éviter que ne s'accentuent les fractures et les écarts entre territoires et que ne soient gaspillées des ressources rares (financières, humaines, naturelles, ...). Les formes de cette coopération sont encore à inventer et à expérimenter.

Promouvoir de nouveaux modes de coopération verticale

Traditionnellement, interviennent sur un même territoire des décideurs publics situés à différents niveaux institutionnels. Les rapports entre toutes ces autorités sont essentiellement fondés sur le partage des responsabilités et la répartition des compétences. L'autonomie plus grande des collectivités locales à l'égard de l'Etat et l'ouverture européenne ont modifié ces rapports. On assiste d'une part à une multiplication des relations contractuelles entre l'Etat et les collectivités territoriales et d'autre part au développement de relations directes entre les collectivités territoriales et les institutions de l'Union européenne.

Aujourd'hui, l'enjeu est de parvenir à concilier les priorités nationales et européennes et les initiatives locales et à trouver une nouvelle articulation entre les politiques menées à différents échelons. En effet, la répartition des compétences entre les différents niveaux ne semble plus à même de répondre au mieux aux différentes préoccupations territoriales. L'heure est semble-t-il davantage au partage des responsabilités et à la conjugaison des efforts. D'autre part, il est important que se combinent désormais l'approche " top-down ", descendante et l'approche " bottom-up ", ascendante et que ces deux démarches se fécondent l'une l'autre. Il importe donc de créer les moyens, les lieux, les procédures permettant d'assurer cette articulation entre les deux approches.

Adopter ou généraliser l'utilisation de nouveaux instruments et de nouveaux principes de gestion publique

Les défis qu'ont à relever les pouvoirs publics incitent au développement et à la mise en pratique de nouveaux modes d'intervention au sein même des institutions.

Il est important par exemple de développer au maximum des approches transversales, prenant en compte l'ensemble des interactions entre les différentes politiques. La logique par projets devrait se substituer à une logique purement sectorielle. Cela implique de penser le développement de la ville, la politique urbaine dans sa globalité et non comme une superposition d'actions sans beaucoup de liens entre elles. Il s'agit également de développer la réflexion prospective afin de mieux guider l'action publique sur le long terme et ce d'autant plus que l'avenir se révèle incertain. Les villes et agglomérations doivent veiller à l'articulation de leurs actions à court terme et de leurs actions à long terme et faire en sorte que les premières soient au service des secondes et qu'il n'y ait pas de contradictions entre elles. La planification stratégique demeure à cet égard un instrument essentiel dans la mesure où elle permet d'inscrire, dans un projet global et cohérent, des perspectives à long terme en matière de développement économique, de développement spatial, de développement social, d'environnement et de peuplement. Cela revient en fait à mettre en application, au sein des institutions publiques, les principes du développement durable.

Comme cela a déjà été mentionné, l'action publique doit aussi être basée sur la concertation entre tous les partenaires d'un projet de territoire. Il s'agit donc de mettre en place des procédures qui permettront de développer des échanges entre toutes les parties, de dégager des problématiques communes, de construire progressivement un consensus et de mettre en forme les propositions de décision. L'évaluation constitue également un outil de toute première importance. Bien conduite, elle peut permettre de mieux cerner la complexité croissante des politiques urbaines, de renforcer la transparence de l'action publique, de former le jugement des citoyens et de nourrir le débat démocratique. C'est une démarche de clarification progressive du sens et des pratiques de l'action collective. Enfin, il convient de développer la capitalisation des savoirs et des savoir-faire et de favoriser l'échange d'expérience afin de promouvoir l'innovation sous toutes ces formes.